Jeux d'Histoire du Ponant - club de jeux d'Histoire à Brest

dimanche 11 août 2013

HMS Africaine

Profitons à nouveau du calme des soirées d'été pour rejouer nos scénarios favoris. Une nouvelle fois, quatre joueurs autour de la table. Et cette fois encore, le combat du 13 septembre 1810.
 (illustration empruntée à la BD "H.M.S." de Roussel et Seiter)

L'Africaine est une superbe frégate de 40 canons, dont le destin est hélas typique de celui de nombreux navires français sous l'Empire. Lancée par l'arsenal de Rochefort en 1798, elle sera capturée dès 1801 dans un duel avec la Phoebe, probablement l'un des navires anglais les mieux commandés et les plus efficaces de Méditerranée à cette époque.

Les Anglais ont l'habitude de dire que les meilleurs navires du monde sont de construction française mais armés par leurs équipages. Et l'on doit admettre qu'ils s'activent fort à capturer nos navires pour les remettre en service sous leurs couleurs.

La belle Africaine partagera dès lors la carrière éprouvante des navires de cette orgueilleuse "Royal Navy" qui domine les mers au prix d'efforts inhumains. Les patrouilles en Manche et en Atlantique se succèdent sans répit, quand il ne s'agit pas de service dans l'hiver de la Baltique.

Mais la pire épreuve pour ces équipages ne vient pas des boulets de l'ennemi, ni des tempêtes de l'océan. C'est au printemps 1810 que le capitaine Robert Corbet est nommé commandant sur ce navire.

Les marins britanniques ne sont ni des anges, ni des agneaux. Toujours désespérément à cours de marins, la Navy utilise la "presse" pour peupler ses navires. Il ne s'agit ni plus ni moins que de l'enlèvement légal des "terriens" par les équipages des navires pour servir à bord. Et la discipline de la Navy assure par la suite leur soumission, par la violence. Le capitaine a tous les droits, y compris le fouet ou la mort pour assurer la seule mesure officielle de sa compétence, à savoir le succès de la mission. Les bagnards condamnés à vie ont le choix entre le bagne et l'engagement "libre" dans la Navy, mais il est de notoriété publique que ce choix est simplement imbécile...

Les meilleurs capitaines sont souvent soucieux d'offrir des conditions de vie décentes aux hommes à qui ils demandent tant. Les capitaines les plus typiques sont de bons marins, même si ils peuvent parfois être d'épouvantables tyrans; le capitaine Bligh de la Bounty viens à l'esprit; despote seul maître à bord loin de toute autre autorité.
Mais Robert Corbet est à la fois un monstrueux sadique, un capitaine médiocre et un mauvais marin. Le système aristocratique de l'époque, et une politique de promotion en grade strictement égalitaire puisque basée uniquement sur l'ancienneté permettait à ce genre d'homme de progresser (par exemple, lorsque l'Amirauté anglaise a voulu nommer Nelson amiral, il lui avait fallu promouvoir d'abord les trois capitaines plus anciens que lui dans la liste officielle - mais ils avaient été mis à la retraite d'office le même jour, pour pouvoir attribuer le commandement vacant).
Sa réputation était telle qu'il avait fallu malgré la discipline aveugle de cette marine la menace de la troupe pour que l'équipage de l'Africaine accepte de le laisser prendre le navire. Ils ne serons pas déçus.
L'Africaine est envoyée dans l'Océan Indien avec une grande expédition pour éliminer la menace d'une petite flotille de frégates françaises qui déjoue depuis deux ans toutes les tentatives anglaises dans la région. Pendant le voyage, Corbet terrorise son équipage par la violence, utilisant à loisir la force du détachement de "Royal Marines" du bord. Mais il ne fait pas pratiquer les exercices de manœuvres de combat ni de tir au canon, car il considère que cela entraîne du désordre. Il aime voir son navire irréprochablement propre.

L'Africaine rejoins donc en septembre 1810 la division du commodore Rowley, de la Boadicea, qui pourchasse ses homologues français, fort bien commandés par Duperré et Bouvet et qui viennent de détruire à Grand Port les forces anglaises précédemment envoyées contre eux.
C'est donc lors d'une longue poursuite, le 13 du mois, que l'Africaine, ayant distancée sa division, attaque seule les deux belles frégates Iphigénie et Astrée de la marine de l'Empereur.


HMS Africaine.

Ce combat fait l'objet de l'un des scénarios du jeu "Close Action" de Mark Campbell (chez Clash of Arms). Cette règle de jeu est un perfectionnement de la mythique "Wooden Ship & iron Men", toujours sur le thème du combat naval "fin de la Royauté et Empire".

Elle propose d'utiliser des pions cartonnés sur une carte à hexagone. Ces hexagones peuvent accueillir des modèles au 1:2400 au lieu des pions pour améliorer le rendu visuel des parties.

Pour chaque tour de jeu, chaque capitaine de navire écrit ses décisions de manœuvres en essayant de deviner ce que vont faire les autres navires dans le même temps pour finir dans la meilleure position envisageable. Les règles définissent les capacités d'évolution des navires suivant la force et l'angle du vent.

Le jeu est somme toute relativement simple une fois admise la façon dont un voilier évolue au vent, en particulier ces grands navires "à voiles carrées". On le qualifie de "technique" car une bonne part de la performance en jeu viens de la meilleure utilisation possible des caractéristiques des navires.
Mais pour encore plus de plaisir visuel, beaucoup se tournent vers les merveilleux modèles au 1:1200 de Rod Langton (http://www.rodlangton.com/), sur des hexagones plus grands. Là le plaisir du modélisme s'ajoute véritablement à celui du jeu (sur des navires dont la coque fait habituellement moins de 5 cm de long).

USS Essex, frégate de 32 carronades, modèle Langton 1:1200

Le scénario est simple, la frégate Africaine possède l'avantage du vent contre les deux frégates françaises qui lui font face .Son chef sur la Boadicea est encore loin et mettra bien du temps à le rejoindre.

Contrairement aux Français qui ne peuvent que progresser lentement en remontant au vent, Corbet a le choix ; il peux soit se jeter sur les Français, soit gagner du temps, remettre le cap vers son chef en espérant que les Français le suivent. Là les chances s'égalisent bien.

Le second choix donne des parties assez longues mais pleines de suspense, Corbet essayant d'amoindrir ses poursuivants sans être rejoins par eux.

Historiquement, Corbet est parti directement au combat, seul, avec un équipage non entraîné contre deux des meilleurs navires de la flotte française. Un véritable tyran ne saurait s'embarrasser de détails insignifiants ! C'est bien évidemment idiot, mais c'est ce que nous avons décidé de tenter, "pour changer un peu". Par bonté, la distance de la Boadicea a été réduite, lui permettant d'entrer dans la partie "moins tard" et de jouer un rôle tardif.

L'Africaine passe derrière la poupe de l'Iphigénie. La bordée en enfilade va faire très mal...

Notre combat a été rude, l'Africaine manœuvrant agressivement entre les deux Français, les désorganisant et surtout infligeant autant de dommages que ce qu'elle reçoit, ce qui n'est pas une mince affaire dans un engagement à deux contre un !!

Et pourtant, cette valeur ne sera pas récompensée. Alors que l'Africaine s'épuise, ses adversaires s'étant quelque peu répartis ses bordées de canons quand elle concentrait toute leur attention, la Boadicea juge mal de sa vitesse, traverse le combat et... s'éloigne hors de portée. Est-ce par empressement de rapporter à l'Amirauté le courage de Corbet ???? Une fois encore les souffrances de l'équipage de l'Africaine seront donc bien mal payées !


En 1810, le combat fut décousu. Il semble que l'équipage anglais ait très mollement combattu (et même refusé d'employer les canons) sous les ordres de Corbet, préférant la défaite à leur existence sous ses ordres (la règle Close Action donne à l'Africaine une valeur de compétence et de moral de "D-4" pour ce combat, ce qui est vraiment faible et tout à fait inhabituel pour un Britannique).

Mais peu après le début de la bataille un boulet français emporte le pied de Corbet, qui est amené à l'infirmerie. L'équipage s'unit immédiatement sous les ordres du premier lieutenant, et reprends (ou prends, simplement) le combat, qui va durer 2 heures. Mais la volonté ne peut pas tout, et lorsque la Boadicea approche, l'Africaine est déjà capturée. La raison impose alors un repli anglais.

HMS Africaine.Les Français abandonnerons pourtant l'Africaine pendant la nuit. Ses mats sont détruits, sa coque est très abîmée et ils savent qu'ils n'ont pas de chantier naval capable de la réparer. Elle portera donc ses marins en attendant que les Anglais ne les récupèrent (comme d'habitude dans ces batailles, toutes les barques ou canots ont été détruits pendant le combat et les Français ne pouvaient pas prendre autant de prisonniers à leur bord ; l'humanité a donc dictée leur décision).

Corbet est mort de ses blessures. Certains disent qu'il s'est suicidé suite à son échec, d'autres que ses marins l'ont tués profitant du désordre. En tous cas, l'Amirauté n'a pas fait cas de sa perte



Cette courte bataille et la vie à bord de l'Africaine sont aussi évoqués dans le scénario du roman historique "Expédition à l'île Maurice" ("the Mauritius Command") de la série "Jack Aubrey" par Patrick O'Brian. Conformément à la pratique dans ce genre de romans, le héros de la série est simplement substitué à un personnage historique et reçoit donc les mérites d'actions largement historiques ou légèrement arrangées).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire